III – L’anticommunisme selon Koestler

 

A. La rupture

Après ces pérégrinations, Arthur Koestler revient en France. Il se montre de plus en plus détaché à l’égard du Parti. Il s’attend à ce que des sanctions soient prises contre lui, mais elles ne viennent pas : le Parti ne peut pas attaquer si rapidement un homme qu’il qualifiait quelques mois auparavant de martyr du fascisme ! Il faut laisser passer un peu de temps avant de pouvoir l’accuser d’être un agent à la solde de Franco...

En mars 1938, Koestler est ébranlé par le troisième procès de Moscou. C’est à ce moment-là qu’arrive à Paris Eva Weissberg, expulsée de Russie après dix-huit mois d’emprisonnement par la GPU, libérée grâce aux efforts du consul d’Autriche. Son mari Alexandre est lui toujours prisonnier et il sera livré en 1940 à la Gestapo.

La rupture avec le Parti est maintenant inévitable. Voici comment Arthur Koestler la décrit dans Le Dieu des ténèbres : "Au printemps de 1938, j’avais à faire une causerie sur l’Espagne devant l’Association des écrivains émigrés allemands de Paris. Avant la causerie, un représentant du Parti me demanda d’insérer un passage dénonçant les membres du POUM comme agents de Franco ; je refusai. Il haussa les épaules et me demanda si j’étais prêt à lui montrer le texte de mon allocution, pour que nous en "discutions entre camarades" ; je refusai. La réunion eut lieu dans la salle de la Société d’encouragement de l’industrie nationale, place Saint-Germain-des-Prés, devant un auditoire de deux cents à trois cents intellectuels réfugiés, dont la moitié était communiste. Je savais que c’était la dernière fois que je prenais la parole en public comme membre du Parti. Le thème de la causerie était la situation en Espagne ; je n’y prononçai pas un mot hostile à l’égard du Parti ou de l’URSS. Mais elle contenait trois phrases, choisies à dessein, qui peuvent n’apparaître à des gens normaux que comme des platitudes, mais qui, pour des communistes, signifiaient une déclaration de guerre. La première était : "Il n’est pas de mouvement, de parti ni d’individu qui puisse se prévaloir de l’infaillibilité". La seconde : "Il est aussi absurde de vouloir pratiquer l’ ‘apaisement’ avec l’ennemi que de persécuter l’ami qui poursuit les mêmes fins que vous, par des voies différentes". La troisième était une citation de Thomas Mann : "Une vérité nuisible est préférable à un mensonge utile".

"C’était clair. Lorsque j’eus terminé, la moitié non communiste de l’auditoire applaudit : les communistes observaient un silence hostile, les bras croisés. Ils n’agissaient pas sur ordre : leurs réactions à ces lieux communs fatidiques étaient spontanées. Autant dire à des nazis que tous les hommes naissent égaux, quelles que soient leur race et leur confession(28)". Koestler comprend que la rupture est consommée. La suite le lui confirme : "Quand j’eus fini mon discours, je rentrai seul. Je suis descendu au métro Saint-Germain-des-Prés, j’ai attendu le métro, et sur le quai un groupe de camarades – mes amis – sont passés près de moi et ont gagné l’autre bout du quai, sans m’adresser la parole, sans me jeter un regard. J’étais mort pour eux et c’était là un avant-goût de la solitude des années suivantes...(29)"

Arthur Koestler envoie alors sa lettre de démission au Parti. "J’affirmais mon opposition au système, à la prolifération cancéreuse de la bureaucratie, à la suppression des libertés individuelles. Mais je me déclarais convaincu que les fondements de l’Etat ouvrier et paysan n’avaient pas été ébranlés, que la nationalisation des moyens de production était une garantie de son retour ultérieur au socialisme et que, malgré tout, l’URSS "représentait encore notre dernier et seul espoir, dans une planète en pleine décadence"(30)". Koestler ne gardera cet espoir qu’un an et demi, jusqu’à la signature du pacte germano-soviétique.

De l’automne 1938 jusqu’à la débâcle de 1940, Koestler séjourne en France. Il commence la rédaction du livre Le Zéro et l’Infini. Il dirige également à Paris un hebdomadaire en langue allemande, Die Zukunft, destiné aux réfugiés et dont le créateur n’est autre que Willi Münzenberg, qui a lui aussi quitté le Parti. Le journal est antinazi et détaché des communistes. Les premiers numéros connaissent des collaborateurs prestigieux, comme Thomas Mann ou Aldous Huxley(31). Ou encore Sigmund Freud que Koestler rencontre à Londres fin 1938 pour recueillir son concours. Par ailleurs, Koestler tente d’obtenir de Staline la grâce d’Alexandre Weissberg, en faisant pression avec notamment les signatures de Irène et Frédéric Joliot-Curie, qui ont reçu le prix Nobel. Au printemps 1939, Koestler quitte le journal et se consacre entièrement à l’écriture.

Il a une nouvelle amie, Daphne Hardy, une jeune Anglaise qui est sculpteur. Avec elle, il descend en août dans le midi. Ils se fixent dans les Alpes-Maritimes. C’est le début de l’histoire racontée dans La Lie de la terre. Le 23 août 1939, Koestler apprend dans le journal la signature du pacte germano-soviétique. Koestler dit alors à Daphne : "C’est la fin, [...] Staline a rejoint Hitler !(32)" La guerre est proche. Koestler rentre à Paris le 29 août avec Daphne. Le 4 septembre, il se rend au consulat britannique pour obtenir un visa et s’engager à Londres dans les forces de sa gracieuse majesté. On lui apprend qu’il lui faudra patienter trois à six semaines. Il n’est plus possible de gagner l’Angleterre.

Le 2 octobre 1939, Arthur Koestler est arrêté comme suspect politique chez lui à Paris, par la police française. Il est d’abord gardé trois jours dans une salle de la préfecture avec d’autres étrangers raflés, puis il reste parqué une semaine au stade Roland-Garros, avant d’être transféré en train au camp d’internement du Vernet d’Ariège dans les Pyrénées Orientales. Koestler se demande qui a pu le dénoncer : le Parti, ou Franco, par l’intermédiaire de Pétain, ambassadeur à Madrid ? Il peut se poser la question, car après tout, il est sujet hongrois – c’est-à-dire neutre – et il n’est plus communiste. Quoi qu’il en soit, il fait désormais partie des réfugiés et des indésirables.

Dans La Lie de la terre, Koestler décrit le camp du Vernet : vingt baraquements sans chauffage, au pied des Pyrénées, dans le gel ou la boue. Ce sont comme des étables humaines avec lit superposés ; chaque personne ne dispose que de cinquante centimètres. Koestler parle aussi des appels quotidiens dans le froid, du travail forcé, des gardes sadiques et des sévices subis. Il reste dans ce véritable camp de concentration français jusqu’au 17 janvier 1940, jour où il est libéré grâce à l’intervention d’un officier de l’Intelligence Service et avec l’aide d’André Malraux. Mais il doit vivre astreint au " régime des sursis " qui se renouvelle de semaine en semaine. Koestler est obligé d’aller à la préfecture presque tous les jours pour faire prolonger son permis de séjour. Il tente de régulariser sa situation ; il voit Malraux, demande l’appui de Blum, mais sans succès.

Le 12 mars, la police perquisitionne chez lui et saisit quelques manuscrits, sa collection de coupures de presse et des livres. Arthur Koestler finit Le Zéro et l’Infini un mois avant l’invasion allemande. En mai 1940, il est de nouveau arrêté et conduit au stade Buffalo. Il affirme qu’il s’agit d’une erreur en montrant son passeport hongrois neutre. Il réussit à berner l’officier et est relâché. Mais il est maintenant dans l’illégalité. Il est recherché, son appartement est fouillé, toutes ses archives sont confisquées. Arthur Koestler est obligé de se cacher. Avec Daphne, il fuit sur les routes de France. Il doit absolument quitter le territoire et ne doit tomber ni entre les mains de la police française, ni entre celles des Allemands ou des communistes(33).

A Limoges, le 16 juin, Koestler entend le premier discours de Pétain. L’armistice est proche. Le lendemain, il s’engage pour cinq ans dans la Légion étrangère sous l’identité d’Albert Dubert, de nationalité suisse, afin d’échapper à la liste noire de la Gestapo. Habillé d’un uniforme et s’étant laissé pousser la moustache, Koestler continue sa fuite vers le sud. Son périple le mène à Périgueux, à Bergerac et à Bayonne – où il tente une nouvelle fois de se suicider avec un mauvais cyanure de potassium. Koestler poursuit sa route ; il a les pieds en sang. Il est recueilli avec d’autres égarés et est cantonné à Géronce dans une grange, jusqu’au début du mois d’août.

Le 15 août, Koestler arrive à Marseille et s’installe au fort Saint-Jean. Il fait la connaissance de militaires anglais, membres du corps expéditionnaire, qui ont été faits prisonniers par les Allemands dans le nord de la France, puis qui se sont évadés avant d’être internés par les Français. Fin août 1940, Koestler réussit avec deux d’entre eux à "échapper au commandant du camp, aux autorités du port, à la commission d’armistice germano-italienne(34)" et se met en route pour Londres. Il ne peut pas passer par l’Espagne. Il se procure des faux papiers de démobilisation pour Casablanca, qu’il rejoint par bateau via Oran. Sur place, Koestler et quatre Anglais du fort Saint-Jean – qu’il a retrouvés en chemin – réussissent à joindre un membre de l’Intelligence Service. Ils sont par la suite emmenés sur un bateau de pêche et, quatre jours plus tard, en septembre 1940, ils sont à Lisbonne (port neutre). Le lendemain, les Anglais partent pour leur pays, tandis que Koestler doit rester à Lisbonne, faute de visa. Il attend deux mois, mais sa situation n’évolue pas. Il tente à nouveau de se suicider, cette fois-ci à la morphine, mais en vain.

Koestler pourrait s’enfuir aux Etats-Unis. Mais il ne veut pas ensuite regretter toute sa vie d’avoir quitté l’Europe à un moment aussi crucial. En novembre, grâce à deux complices – le consul général de Grande-Bretagne à Lisbonne et le correspondant du Times –, Koestler parvient à monter sans permis dans un avion hollandais pour l’Angleterre. Quand il arrive à Bristol, il est mis immédiatement en prison pour six semaines. Koestler s’y sent en sécurité, même sous les raids aériens allemands ; c’est effectivement un endroit plus sûr pour lui que n’importe où sur le continent. "Si j’écrivais un guide Michelin des prisons d’Europe, écrit Koestler, je marquerais Pentonville de trois étoiles". Il est libéré à Noël 1940. Le Zéro et l’Infini paraît peu de temps après en Angleterre.

 

B. "Le Zéro et l’Infini"

Le Zéro et l’Infini est le dernier livre écrit par Arthur Koestler en allemand. Mais il est rapidement traduit en anglais. Le livre commence sur ces phrases : "Les personnages de ce livre sont imaginaires. Les circonstances historiques ayant déterminé leurs actes sont authentiques. La vie de N.-S. Roubachof est la synthèse des vies de plusieurs hommes qui furent les victimes des soi-disant procès de Moscou(35)". Le Zéro et l’Infini, c’est l’histoire de Roubachov, membre de la vieille garde bolchévique, qui est arrêté, qui est interrogé et à qui on fera dire ce que l’on veut lors d’un procès public. Roubachof avoue en effet au moment de son procès que la moindre déviation de la ligne tracée par le Parti aboutit inévitablement au "banditisme révolutionnaire". Koestler tente d’expliquer à travers l’histoire de son personnage ce qui a bien pu arriver aux révolutionnaires de la première heure pour qu’ils donnent de tels témoignages aux procès de Moscou.

Koestler dit à Pierre Debray-Ritzen de qui il s’est inspiré pour le personnage de Roubachof : "Là, les éléments sont Boukharine, Radek et Trotsky. L’idéologue, c’est Boukharine, l’apparence physionomique c’est Radek. Et il y a des éléments de Trotsky aussi(36)". Les apparences de plusieurs autres personnages sont inspirées de personnes que Koestler a vues lors de son voyage en Union soviétique. En ce qui concerne l’atmosphère de la prison et le déroulement des interrogatoires, c’est Eva Weissberg qui a donné à Koestler un grand nombre de détails. Koestler la revoit en effet en 1938, après qu’elle eut passé dix-huit mois dans les prisons soviétiques. Elle était accusée d’avoir voulu tuer Staline. Elle s’était ouvert les veines pour ne pas avoir à témoigner contre Boukharine. Son mari, Alexandre Weissberg, avait été lui aussi arrêté. Il restera trois ans emprisonné en Union soviétique, puis la GPU le remettra à la Gestapo, qui le persécutera encore cinq ans. Puis il écrira son témoignage sur la terreur stalinienne dans L’Accusé, dont Koestler signera la préface.

Eva Weissberg donne à Koestler des précisions sur les méthodes employées par la GPU pour obtenir des aveux : les interrogatoires avec une lampe aveuglante, la privation de sommeil, l’alternance de périodes de tourment et de réconfort... A part la douleur physique, la GPU peut aussi brandir la menace de représailles sur des personnes proches. Toutes ces méthodes permettent d’obtenir pratiquement tout le temps des confessions, même publiques.

Pour la prison, Koestler s’inspire aussi de ses souvenirs d’Espagne. Il réutilise des impressions et des faits issus de sa propre expérience : corridors, cellules, judas, dialogues entre prisonniers à travers les murs. Il y a parfois dans certains passages de grandes ressemblances entre Un Testament espagnol et Le Zéro et l’Infini. Par exemple, les appels au secours de Bogrof ressemblent aux "secorro, secorro" et aux "madre, madre" que Koestler a entendus dans sa cellule espagnole. Ainsi le personnage de Roubachof ressemble aussi un peu à son créateur.

Pourquoi Le Zéro et l’Infini comme titre du roman ? Arthur Koestler donne l’explication suivante à Pierre Debray-Ritzen : "Il y a un passage du livre qui dit à peu près ceci : dans une politique menée par le principe que la fin justifie les moyens, on fait des calculs... et l’on dit : nous allons sacrifier – liquider – cent mille personnes parce que nous sommes convaincus qu’il y a des espions parmi elles ; et il vaut mieux sacrifier quinze mille innocents que de mettre en péril dix millions d’êtres. Comme vous le voyez, dans ce calcul, l’individu n’est qu’une unité abstraite.

"Mais il y a un autre point de vue pour considérer l’individu, c’est celui de Malraux quand il dit dans Les Conquérants : "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie". Une vie est un zéro mais c’est aussi un infini. Et si on met ces symboles – ou le zéro, ou l’infini – dans une équation mathématique, l’équation ne marche plus. Tout le système s’effondre aussitôt que vous introduisez le simple respect pour l’individu(37)". Ce roman est ainsi le deuxième d’une trilogie consacrée à la question de la fin et des moyens, avec Spartacus et Croisade sans croix.

La force d’Arthur Koestler dans Le Zéro et l’Infini, c’est son analyse du processus qui aboutit aux aveux d’un membre de la vieille garde bolchevique, qui pourtant résiste aux pressions physiques. Koestler avance l’hypothèse qu’un homme voué à une cause pendant toute sa vie acceptera de s’accuser de crimes qu’il n’a pas commis pour rendre un dernier service à cette cause ; ainsi Roubachov espère que sa démarche aidera la patrie du socialisme à survivre.

Les hypothèses de Koestler, élaborées avec intuition, seront par la suite confirmées par d’autres témoignages. En 1952, Otto Katz, ancien camarade de Parti de Koestler et collaborateur de Willi Münzenberg, est impliqué dans le procès Slansky ; il est alors directeur de la presse au ministère tchèque des affaires étrangères. Au cours du procès, Otto Katz reprend les auto-accusations fondamentales de Roubachof ; il dit qu’il "mérite la potence" et demande à ses juges "le châtiment le plus sévère" comme le "seul service" qu’il peut encore rendre à l’Union soviétique et au Parti(38). Koestler croit à l’époque qu’Otto Katz lui envoie un message camouflé pour accréditer ses hypothèses.

Un autre témoignage confirme aussi l’intuition de Koestler. Le général Krivitzky – qui a dirigé les renseignements militaires soviétiques puis rompu avec Moscou en 1937, qui sera assassiné plus tard à Washington par la GPU – décrit les méthodes employées par la GPU dans J’étais agent de Staline(39). Après avoir assisté à des interrogatoires, il s’est demandé pourquoi des accusés de la trempe de Boukharine ont fini par avouer. Il a conclu que leurs aveux étaient déterminés par "la conviction sincère que c’était là l’unique service qu’ils pouvaient encore rendre au Parti et à la Révolution. Ils sacrifiaient leur bonheur et leur vie pour défendre le régime de Staline, régime haï, parce qu’il contenait la dernière petite lueur d’espoir en ce monde meilleur auquel ils s’étaient consacrés dans leur jeunesse(40)".

Le livre doit maintenant convaincre. Il est plutôt bien accueilli en Angleterre par les critiques ; le public britannique montre cependant peu d’intérêt au roman. Le Zéro et l’Infini connaît par contre un succès immédiat aux Etats-Unis et en France en 1946. D’après Koestler, le livre se vend bien en France et peu en Angleterre "parce qu’en France, on avait vécu l’expérience communiste. En Angleterre, non. Il n’y avait pas de parti communiste en Angleterre. C’était un parti ridicule avec un seul membre au Parlement. Il n’y avait pas de syndicat communiste. Il y avait seulement un mouvement "gauchiste" parmi les intellectuels, mais pas de Parti. Donc le livre était un peu abstrait pour les Anglais(41)".

Le roman connaît en Angleterre cinq éditions successives entre février 1941 et décembre 1945. La traduction française est quant à elle vendue rapidement à plus de 500 000 exemplaires, battant tous les records de publications vendues en France jusque là. En fait, c’est sans doute le Parti communiste français (PCF) lui-même qui crée les conditions de ce succès : en 1945, l’éditeur Robert Calmann (de Calmann-Lévy) reçoit une délégation du PCF conduite par Jacques Duclos ; les communistes lui demandent de renoncer à la publication du Zéro et l’Infini en France. Robert Calmann refuse. Le Parti réussira par la suite à intimider le traducteur, qui demandera que son nom soit retiré de l’ouvrage.

Quand le livre sort en France en 1946, les partis politiques en achètent de nombreux volumes : les communistes tentent d’en détruire un maximum tandis que les membres d’autres partis veulent en accélérer la diffusion... La campagne systématique de dénigrement organisée par le PCF crée une atmosphère de scandale, entraînant évidemment la curiosité. Tout le monde veut avoir son jugement sur le livre et les Français découvrent ainsi le triste sort réservé à Roubachof. La polémique atteint son paroxysme en mars et avril 1946, pendant la campagne précédant le référendum sur la future constitution française. Ce qui ajoute un élément défavorable au projet de constitution soutenu par les communistes – projet qui sera d’ailleurs rejeté.

Les communistes utilisent tous les moyens en leur pouvoir pour attaquer le livre d’Arthur Koestler, et notamment la presse. Pour exemple, L’Aurore du Sud-Est du 27 août 1946 publie ainsi la critique suivante, intitulée "Pseudo-révolutionnaire : Arthur Koestler n’est qu’un instrument de la réaction" : "Il devient peu efficace de lancer les antisoviétiques franchement déclarés dans les campagnes contre l’URSS. Un petit bourgeois décadent à la André Gide ne peut plus prétendre écrire de quelconques Retour de l’URSS susceptibles d’avoir une portée (l’homme ayant été démasqué). Les Céline, les Bonnard, les Montherlant non plus ne pourraient plus remplir ce rôle : leur collusion avec l’hitlérisme les ayant trop marqués. Le "révolutionnaire" Malraux lui-même, devenu fidèle de de Gaulle et de la DGER, a également trouvé une autre affectation.

"Le poison restant le même, il fallait changer l’étiquette du flacon : les Anglo-Saxons nous ont offert le trotskyste Arthur Koestler. Sa marchandise enveloppée dans du papier de soie beurrée est utilisée par les pires ennemis de l’Union soviétique.

"Koestler vient de publier coup sur coup deux ouvrages : Le Zéro et l’Infini et Spartacus. Ces deux livres – le premier surtout – recueillent, dans les chroniques littéraires d’une certaine presse, des louanges empressées. On prend bien soin, dans la publicité, de présenter Koestler comme un écrivain révolutionnaire (curieux ce "révolutionnaire" qui n’effraie pas la réaction !).

"Quant à Koestler, il prend soin, lui, de nous présenter ses personnages comme de grands révolutionnaires sympathiques qui, à un moment donné, tombent sous les coups des "staliniens" : histoire de donner aux communistes de prétendues leçons de vertu et de pureté révolutionnaires !

"Ecrivassier, dont les romans sont plutôt des romans-feuilletons sans grande valeur littéraire, Koestler ne peut plus cacher son jeu : contre-révolutionnaire, trotskyste, il ne fait qu’écouter la voix de son maître qui, sous n’importe quel déguisement, s’appelle toujours réaction(42)".

Le roman de Koestler contient tous les éléments pour susciter de telles critiques de la part des communistes. Citons-en ici un passage, dans lequel le prisonnier Roubachof soulève le problème de la fin et des moyens ; il fait part de ses réflexions à Ivanof, un vieil ami à lui, qui tente de le convaincre de signer une déclaration d’aveux.

"[Nous sommes], dit Roubachof, si logiques, que dans l’intérêt d’une juste répartition de la terre nous avons de propos délibéré laissé mourir en une seule année environ cinq millions de paysans avec leurs familles. Nous avons poussé si loin la logique dans la libération des êtres humains des entraves de l’exploitation industrielle, que nous avons envoyé environ dix millions de personnes aux travaux forcés dans les régions arctiques et dans les forêts orientales, dans des conditions analogues à celles des galériens de l’Antiquité. Nous avons poussé si loin la logique, que pour régler une divergence d’opinions nous ne connaissons qu’un seul argument : la mort, qu’il s’agisse de sous-marins, d’engrais, ou de la politique du Parti en Indochine. Nos ingénieurs travaillent avec l’idée constamment présente à l’esprit que toute erreur de calcul peut les conduire en prison ou à l’échafaud ; les hauts fonctionnaires de l’administration ruinent et tuent leurs subordonnés, parce qu’ils savent qu’ils seront rendus responsables de la moindre inadvertance et seront eux-mêmes tués ; nos poètes règlent leurs discussions sur des questions de style en se dénonçant mutuellement à la Police secrète, parce que les expressionnistes considèrent que le style naturaliste est contre-révolutionnaire, et vice versa. Agissant logiquement dans l’intérêt des générations à venir, nous avons imposé de si terribles privations à la présente génération que la durée moyenne de son existence est raccourcie du quart. Afin de défendre l’existence du pays, nous devons prendre des mesures exceptionnelles et faire des lois de transition, en tout point contraires aux buts de la Révolution. Le niveau de vie du peuple est inférieur à ce qu’il était avant la Révolution ; les conditions de travail sont plus dures, la discipline est plus inhumaine, la corvée de travail aux pièces pire que dans des colonies où l'on emploie des coolies indigènes ; nous avons ramené à douze ans la limite d’âge pour la peine capitale ; nos lois sexuelles sont plus étroites d’esprit que celles de l’Angleterre, notre culte du Chef plus byzantin que dans les dictatures réactionnaires. Notre presse et nos écoles cultivent le chauvinisme, le militarisme, le dogmatisme, le conformisme et l’ignorance. Le pouvoir arbitraire du gouvernement est illimité, et reste sans exemple dans l’histoire ; les libertés de la presse, d’opinion et de mouvement ont totalement disparu, comme si la Déclaration des Droits de l’Homme n’avait jamais existé. Nous avons édifié le plus gigantesque appareil policier, dans lequel les mouchards sont devenus une institution nationale, et nous l’avons doté du système le plus raffiné et le plus scientifique de tortures mentales et physiques. Nous menons à coups de fouet les masses gémissantes vers un bonheur futur et théorique que nous sommes les seuls à entrevoir. Car l’énergie de cette génération est épuisée ; elle s’est dissipée dans la Révolution ; car cette génération est saignée à blanc et il n’en reste rien qu’un apathique lambeau de chair sacrificatoire qui geint dans sa torpeur. Voilà les conséquences de notre logique(43)".

Roubachov développe toute une série de théories à travers le livre, mais de façon imagée, notamment celles de la balançoire de l’histoire ou des écluses à divers niveaux du progrès social. Une description imagée permet au lecteur de suivre facilement les méandres complexes de la pensée de Roubachof. C’est probablement un des éléments du roman qui en a fait le succès.

Mais revenons en Angleterre début 1941. Arthur Koestler vient de sortir de prison et Le Zéro et l’Infini vient d’être publié. A sa sortie, Koestler se rend directement au bureau de recrutement pour s’engager dans l’armée. Mais il lui faut attendre au moins deux mois. De janvier à mars 1941, il écrit donc La Lie de la terre. En mars, il entre dans le corps des pionniers de l’armée britannique, la seule unité à admettre des étrangers dans ses rangs. Il va creuser des tranchées. Un an plus tard, en mars 1942, il est réformé. Il est alors employé par le ministère de l’information pour écrire des scénarios de films de propagande, des pièces radiophoniques et des tracts destinés à être largués au-dessus de l’Allemagne. Il est aussi conducteur d’ambulances pendant quatre mois.

Par ailleurs, Koestler entre rapidement dans la vie littéraire britannique. Il peut maintenant écrire dans de nombreux journaux et revues : Horizon, Tribune, Observer, Evening Standard. Il publie par morceaux Le Yogi et le Commissaire. Entre juillet 1942 et juillet 1943, Koestler écrit Croisade sans croix, troisième roman sur la question de la fin et des moyens. Certains passages du livre valent à Koestler de vifs échanges avec des lecteurs. Il y décrit les atrocités nazies telles que l’Europe les découvrira en 1945, mais difficiles à croire pour certains Anglais en 1943. Aux lecteurs incrédules sur l’existence du génocide, Koestler – qui vient d’apprendre l’extermination d’une partie de sa famille – donne en décembre 1943 dans la revue Horizon la réponse suivante : "Si j’avais publié un article sur Proust et mentionné son homosexualité, vous n’auriez jamais osé poser une question semblable, car vous considérez de votre devoir "de savoir", bien que les preuves de ce fait particulier soient moins évidentes que le massacre de trois millions d’êtres humains. Vous rougiriez d’ignorer le nom d’un écrivain, d’un peintre ou d’un compositeur contemporain de second ordre ; vous rougiriez d’attribuer une pièce de Sophocle à Euripide, mais vous avez l’audace de demander s’il est vrai que vous soyez les contemporains du plus grand massacre de l’histoire(44)".

Début 1944, Koestler rencontre Mamaine Paget qui deviendra sa femme ; c’est la fin de sa liaison avec Daphne Hardy. De décembre 1944 à août 1945, Koestler part pour la Palestine. Officiellement, il est correspondant du Times, mais en fait il est chargé par Chaim Weizman – futur président de l’Etat d’Israël – de faire accepter l’idée de partition aux différents groupes terroristes juifs. Pour le Times, Koestler interviewe en secret les chefs de l’Irgoun et du groupe Stern. Puis il revient en Grande-Bretagne.

Le 1er octobre 1946, Koestler retourne pour la première fois à Paris depuis la guerre ; c’est le moment du succès en France pour son roman Le Zéro et l’Infini. Koestler est aussi venu pour assister aux répétitions de sa pièce Le Bar du crépuscule, montée par Jean Vilar. Il rencontre également Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Manès Sperber, André Malraux...

 

C. Derniers engagements politiques

1948 voit la naturalisation d’Arthur Koestler qui devient sujet britannique. En mars, Koestler débute une tournée de conférences aux Etats-Unis pour collecter des fonds destinés aux réfugiés d’Europe de l’Est. Le 15 mai, l’Etat d’Israël proclame son indépendance et la première guerre israélo-arabe commence ; Koestler se rend sur place le 4 juin en tant que correspondant de guerre du Manchester Guardian, du New York Herald Tribune et du Figaro.

En mars 1949, Koestler écrit sa contribution à l’ouvrage collectif Le Dieu des ténèbres. Outre Koestler, cet ouvrage est signé par des écrivains occidentaux qui ont appartenu au Parti communiste : Ignazio Silone, Richard Wright, André Gide, Louis Fischer et Stephen Spender. Ces auteurs expriment leurs désillusions, mais montrent aussi le formidable espoir que leur avait apporté le communisme et qui avait été celui de toute une génération. Cet espoir, c’était celui de pouvoir substituer aux vieilles religions d’hier, centrées sur un Dieu inaccessible, une religion nouvelle, celle de l’homme.

En juin 1949, Koestler engage une jeune secrétaire sud-africaine, Cynthia Jefferies. Le 15 avril 1950, il épouse Mamaine Paget.

En juin 1950, Arthur Koestler fait partie de ceux qui se réunissent à Berlin-Ouest pour le Congrès pour la liberté de la culture, organisé avec le soutien des autorités américaines(45). Le Congrès pour la liberté de la culture est essentiellement créé pour contrer l’influence du Mouvement de la Paix, instrument de la propagande communiste internationale. Le Congrès se dote d’un secrétariat international et d’un comité exécutif.

Ce Congrès doit former un réseau intellectuel international, regroupant des comités nationaux et diverses revues comme Der Monat en Allemagne, Forum en Autriche, Encounter en Grande-Bretagne, Tempo presente en Italie et Preuves en France. Toutes ces revues proposent des réflexions sur le phénomène totalitaire et luttent pour la promotion d’une culture européenne dont les valeurs fondamentales seraient "le droit, la personne, l’esprit critique(46)". Le Congrès fait l’éloge des valeurs démocratiques occidentales et de la solidarité atlantique ; il fait également la promotion des cultures nationales au profit d’une communauté européenne de cœur et d’esprit. D’après François Bondy(47), Arthur Koestler aurait souhaité faire du Congrès une internationale intellectuelle en suivant le modèle de Willi Münzenberg, mais dirigée cette fois-ci contre le communisme.

Pour le Congrès, Koestler rédige avec Manès Sperber un manifeste qui paraît en septembre 1950 dans Liberté de l’esprit. Il écrit aussi pour Preuves, revue qui bénéficie de la collaboration de critiques (C. Mauriac, C.-E. Magny, R. Kanters), de russisants français (Jean Laloy, Boris Souvarine) et d’écrivains (Milosz, de Rougemont, Nicolas Chiaromonte, André Malraux). L’antitotalitarisme de Preuves est affirmé par Hannah Arendt, Karl Jaspers, Isaiah Berlin et Raymond Aron. D’anciens communistes comme Jules Monnerot, Franz Borkenau, Ignazio Silone(48) et Manès Sperber rallieront la revue, avant d’être rejoints, au fil des exclusions du Parti communiste français, par Jean Duvignaud, Edgar Morin et Annie Kriegel. Preuves développe la critique politique et culturelle du stalinisme, s’engage pour le rapprochement franco-allemand, la constitution d’une Europe unie et l’indépendance de l’Afrique du Nord. La revue, justifiant son titre, apporte par ailleurs les preuves que Marx est lui-même censuré en Union soviétique et que les œuvres dites complètes de Gorki et de Tchekhov comprennent des omissions systématiques. Preuves est aussi la tribune par excellence des écrivains est-européens interdits de publication dans leur pays. Son tirage oscille entre 10 000 et 12 000 exemplaires. L’activité de la revue se prolonge avec l’édition de livres.

En 1966, le New York Times publie une enquête dans laquelle il est démontré que la revue, par l’intermédiaire du Congrès pour la liberté de la culture, est financée par la CIA, qui soutient la promotion d’une Europe libre de toute sujétion, c’est-à-dire rejetant le communisme... A la suite de ces révélations, le Congrès est remplacé par une Association internationale pour la liberté de la culture, financée cette fois par la Ford Fondation. La revue Preuves est quant à elle réorganisée, mais sa crédibilité est atteinte. Elle disparaît en 1975.

Mais revenons à Arthur Koestler. En mai 1951, il écrit la préface de L’Accusé d’Alexandre Weissberg, nouveau témoignage sur les procès de Moscou. En juin 1952, Koestler achète une maison à Montpelier Square à Londres, maison où il vivra jusqu’à la fin de sa vie. L’année suivante, il divorce de Mamaine, qui décèdera d’une crise d’asthme un an plus tard, à l’âge de 37 ans. Pendant toute cette période, de janvier 1951 à octobre 1953, Koestler rédige ses mémoires, La Corde raide et Hiéroglyphes, qui ne connaîtront que des tirages modestes.

A propos de sa conversion au communisme, Koestler développe dans La Corde raide sa théorie du "système clos". Pour lui, le marxisme, ainsi que le freudisme orthodoxe et le catholicisme, sont des systèmes clos. Il explique ainsi sa pensée : "Par "système clos", j’entends, premièrement, une méthode universelle de pensée qui prétend expliquer tous les phénomènes sous le soleil et porter remède à tous les maux de l’humanité ; deuxièmement, un système qui refuse de se laisser modifier par des faits nouvellement observés, mais qui possède assez de résistance élastique pour neutraliser leur attaque, c’est-à-dire pour les inclure dans le dessin voulu au moyen d’une casuistique extrêmement développée ; troisièmement, un système qui sape de toute base solide les facultés critiques de quiconque a accepté d’entrer dans son cercle magique(49)".

Koestler n’hésite pas à faire des parallèles entre marxisme et freudisme. Il donne ainsi les exemples suivants à Pierre Debray-Ritzen : "Le freudisme est aussi un système clos. On dit : "Oui, oui... je suis d’accord mais ce truc-là – le complexe de castration, je n’y crois pas". Et on vous répond : "Ah vous n’y croyez pas, mais c’est parce que vous en souffrez". [...] Dans la dialectique, c’est la même chose. Si je doute que cette tactique, cette ligne générale – le pacte germano-soviétique – soient corrects... On me dit : "Ah camarade ! tu doutes ? C’est parce que tu as encore une conscience petite-bourgeoise qui fausse ta vue. Donc il faut corriger ta fausse conscience et alors tu reconnaîtras que le Parti a toujours raison"(50)".

D’après Koestler, le système clos permet, pour les communistes, de justifier les changements de ligne du Parti – changements de ligne dont il montre l’absurdité :

"Pour les communistes, le monde a été successivement polarisé de la façon suivante :

"1930. La Russie soviétique et la classe ouvrière internationale contre le monde capitaliste, monde fasciste parce que "le fascisme est inévitablement la dernière phase du capitalisme".

"1940. Les peuples pacifistes russe et allemand contre les agresseurs impérialistes plouto-démocratiques : Angleterre et France.

"1941. Les agresseurs allemands bestiaux et fascistes contre les nations démocratiques unies : Russie, Angleterre, France et Amérique.

"1950. Les bellicistes impérialistes criminels : Angleterre, France et Amérique contre les pacifiques démocraties populaires de l’Est.

"Chacune de ces polarisations arbitraires était présentée aux fidèles comme un dualisme éternel, le bien et le mal, l’ombre et la lumière, et justifiée avec toute l’ingéniosité persuasive de la logique du système clos(51)". C’est ainsi que Koestler décrit ses rapports avec le communisme pour la dernière fois.

En effet, dans la préface de son essai L’Ombre du dinausaure terminé en février 1955, Arthur Koestler fait le vœu de ne plus écrire sur le communisme ni sur la politique. Par la suite, quand il s’exprimera à nouveau sur le sujet, Koestler précisera à chaque fois qu’il raconte les faits d’un point de vue objectif et que son but n’est pas de faire de la propagande. Il explique ainsi sa décision à Pierre Debray-Ritzen : "J’ai abandonné la politique. Parce que j’ai senti de plus en plus que la politique était faite par des hommes ; et que, par conséquent, la psychologie humaine est le facteur le plus important dans l’analyse politique(52)". Pour Koestler, les idéologies politiques n’ont pas réussi à résoudre les problèmes humains. C’est donc maintenant la connaissance objective du comportement humain qui l’intéresse. Koestler retourne ainsi à ses premières amours : la science.

Pour autant, il continue à s’engager pour de nouvelles causes. En juillet 1955, Koestler participe au lancement d’une campagne nationale pour l’abolition de la peine capitale en Angleterre. Un comité exécutif et un comité d’honneur sont constitués et des personnalités sont enrôlées. Par ailleurs, une série de meetings se tient à Londres et dans des villes de province. Koestler, lui, écrit Reflections on Hanging (réflexions sur la pendaison), ouvrage qui est publié en feuilleton dans l’hebdomadaire Observer sous le pseudonyme de "Vigil" et qui sort en livre au printemps 1956.

Le 21 janvier 1956, l’Observer publie un article de Vigil s’élevant contre la condamnation à mort d’un homme, qui doit être exécuté le 26. Trois jours plus tard, le condamné est grâcié. En mars 1956, le gouvernement accuse Arthur Koestler devant la chambre des Lords d’avoir déformé dans ses citations des documents officiels. L’opposition du public favorable à Koestler est si unanime dans les pages de l’Observer que les plaintes contre lui sont finalement retirées et qu’une approbation se fait à la séance suivante de la Chambre des lords. Deux semaines plus tard, le secrétaire de l’intérieur lance une nouvelle attaque sur les valeurs des déclarations de Koestler, cette fois-ci lors d’un débat à la Chambre des communes. Le British Press Council examine alors l’affaire et de nouveau les critiques contre Koestler sont repoussées.

Avant le débat parlementaire décisif d’avril 1956, Arthur Koestler et Cynthia Jefferies établissent un rapport détaillé sur le cas de chacun des 85 hommes et femmes exécutés en Grande-Bretagne entre 1949 et 1953. Ce rapport, signé Vigil, est ensuite distribué à chaque membre de la Chambre des communes et de la Chambre des lords. Les faits et les commentaires sont tellement traumatisants que plusieurs députés admettent par la suite avoir changé d’opinion et déclarent qu’ils voteront pour l’abolition de la peine de mort. L’abolition totale sera votée par le Parlement le 8 novembre 1965 seulement, en outre à titre d’expérience pendant cinq ans ; elle devient définitive à la suite d’un nouveau vote en 1970. Arthur Koestler a été un important rouage de ce processus(53).

 

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